Au Clemi, nous recevons de plus en plus souvent des questions d'enseignants qui cherchent à travailler avec des dépêches d'agence de presse en ligne. Le plus souvent, ils veulent apprendre aux élèves à importer des textes depuis le Web jusqu'au disque dur de l'ordinateur, et choisissent les dépêches parce que ce sont des textes courts, traitant de faits actualité susceptibles d'intéresser les jeunes. Parfois, ils projettent aussi d'utiliser ces dépêches pour faire construire aux élèves la Une d'un journal. Dans la majorité des cas, ils ne font aucune différence entre les dépêches classiques, celles qui tombent sur les téléscripteurs dans les rédactions des médias, et les dépêches diffusées sur Internet.
Et pourtant, les dépêches en ligne sont-elles vraiment des dépêches comme les autres?

Pour trouver des dépêches sur le Web, on peut tout naturellement aller sur le site de l'Agence France Presse. L'AFP en offre deux sélections assez succinctes, mais en six langues: "le monde en bref" (une quinzaine d'informations internationales) et la "sélection de la semaine" (une vingtaine sur un thème d'actualité renouvelé régulièrement). Les enseignants demandent souvent au Clemi si l'on peut aussi trouver en ligne le "fil général", c'est-à-dire l'ensemble des dépêches fournies aux abonnés de l'agence. Non, bien sûr, car ce serait la mort économique de l'entreprise. Qui paierait un service qui se trouve gratuitement sur le Web? Si l'AFP propose une trentaine de dépêches en ligne, c'est pour montrer des produits à des clients potentiels. Pas pour informer les internautes sur l'actualité de la planète.
En revanche, on peut trouver des dépêches de l'AFP en grand nombre sur des sites qui ont pour vocation naturelle d'informer: ceux des entreprises de presse.

Les cyberjournaux: une mine de dépêches

Depuis quelques mois, nombre de médias s'abonnent en effet à ce nouveau service de l'AFP, le "journal Internet". Parmi eux, plusieurs quotidiens nationaux et régionaux présents sur le Web. Ils proposent des listes de dépêches, classées par rubriques comme dans un journal classique (monde, France, politique, société, éco-social, sport, multimédia, etc.).
En classe, on peut comparer les rubriques AFP retenues par chacun des journaux en ligne, et travailler sur la notion de lectorat.

Si des quotidiens régionaux comme Ouest France ou la République des Pyrénées sont abonnés à l'ensemble des rubriques (sous l'intitulé "Les dépêches AFP" ou "L'info en continu"), c'est sans doute une volonté d'offrir à leurs lecteurs une couverture de l'actualité nationale et internationale, quand ils n'ont pas, ou peu, de correspondants en France et à l'étranger. En revanche, les journaux thématiques optent naturellement pour une rubrique spécialisée. Ainsi Midi Olympique, hebdomadaire spécialisé dans le rugby, offre uniquement les dépêches concernant le ballon ovale (voir "News"). On trouvera aussi, ponctuellement, des dossiers de dépêches sur un thème qui intéresse les lecteurs du journal (une manifestation culturelle, un championnat, etc).

Les élèves qui apprennent à repérer les sources des informations sur Internet peuvent identifier facilement la provenance de ces dépêches. En glissant la souris sur les liens, ils voient apparaître l'adresse du site de l'AFP en bas d'écran.

Qui choisit l'information à mettre en ligne?

La présence de dépêches dans les journaux n'est pas une nouveauté. La plupart des éditions papier, notamment les régionaux, proposent des colonnes de brèves signées plus ou moins explicitement de l'AFP. Ce sont les rédactions qui les sélectionnent et décident de leur hiérarchie dans la page. Dans le "journal Internet" de l'AFP, y a-t-il aussi une sélection, ou peut-on lire toutes les dépêches du fil général de l'AFP? S'il y a sélection, qui la fait? sur quels critères? Voilà des questions auxquelles des élèves qui travaillent sur l'information doivent être en mesure de répondre.

Pour le découvrir, ils vont cliquer, depuis le site d'un quotidien, sur le lien proposant des dépêches. Le premier paragraphe des dépêches, les "leads", s'affichent dans une fenêtre habillée aux couleurs du journal (logo, titre, etc). L'habillage visuel porte à croire que l'on consulte toujours le site du journal. Donc, que l'information présentée a été sélectionnée et hiérarchisée par le journal.

Pourtant, les élèves ont constaté, dès le départ, que le lien indiquait l'adresse URL de l'AFP. Cette indication de source, et sa prise en compte, sont ici particulièrement importantes. Elle seule montre que l'internaute quitte le site du journal pour partir à l'AFP. En réalité, c'est l'agence qui a habillé les dépêches, et en a fait un service personnalisé, destiné à un client spécifique. C'est elle aussi qui a sélectionné l'information, pour en faire son "journal internet". En comparant la mise en écran des dépêches et leur contenu dans les différents journaux en ligne, les élèves constateront que l'AFP vend à ses clients le même produit (les dépêches), dans des emballages différents (avec l'identité visuelle de chaque journal abonné). Avec le "journal Internet", le quotidien délègue donc à l'agence la maîtrise de l'information qu'il a mis sur son site.

Des dépêches pour quel public?

Les dépêches du "journal Internet" proposées à l'internaute sont-elles identiques à celles du fil général? Pour procéder à ces comparaisons en classe, il faut se procurer un rouleau de dépêches (par exemple auprès du journal local) ou s'abonner à l'AFP-Direct. Il vaut mieux également imprimer les dépêches d'un journal en ligne (pas uniquement les "leads").

Les élèves qui connaissent le principe d'écriture d'une dépêche d'agence constatent alors des différences de forme et d'écriture. Dans le "journal Internet", les textes sont d'une taille homogène: ils n'excèdent pas une page écran. Pas de "bulletins" de 60 lignes faisant le point sur un thème, comme on en trouve sur le fil. Pas non plus de dépêches d'alerte, des flashs de deux lignes précisés quelques minutes plus tard par une nouvelle dépêche. Le "journal Internet" propose des synthèses courtes, à l'écriture resserrée pour être facilement lisible à l'écran, répondant aux questions de référence propres à tout texte informatif: qui, quoi, quand, où, comment, pourquoi.

Les élèves constatent aussi que le codage des dépêches du fil a disparu (numéro d'ordre de la dépêche dans la journée, niveau d'urgence, nombre de mots, initiales de l'auteur et du relecteur). Ne subsistent que deux indications: la date et l'heure. Généralement, la mise en ligne d'une dépêche sur le "journal Internet" suit de plusieurs minutes sa tombée sur les téléscripteurs: il faut aux journalistes du desk multimédia - ils sont une dizaine - le temps de l'écrire pour le web.

Pourquoi ces modifications? Internet induit un mode de communication, un type d'écriture et un public destinataire spécifiques. A la différence des dépêches classiques, le "journal Internet" n'est pas destiné à des professionnels, aux journalistes qui retraiteront l'information pour leur lecteurs. Il est conçu pour le grand public (au moins celui des internautes). Il s'agit plus d'une succession de brèves minutées, écrites sur le mode de la dépêche d'agence. Ces textes pourraient être publiés tels quels dans la presse papier. (Ne le sont-ils pas...? une autre étude à mener avec les élèves). Avec son "journal" Internet, l'AFP change donc de rôle. A sa fonction de pourvoyeur d'informations, s'ajoute celle de médiateur. Elle s'adresse directement aux lecteurs.

Les dépêches en ligne: de l'information en continu

Qu'elles soient sur Internet ou non, les dépêches, on l'a vu, ne sont pas des textes comme les autres. Les exploiter avec des élèves oblige à se pencher sur leur statut, leur conditions de production et le contexte de leur utilisation. Mais l'intérêt d'Internet, c'est qu'à la différence du journal papier, les dépêches tombent en continu, l'une chassant l'autre, et donnent donc l'actualité en direct, sans aucune intervention de la rédaction du journal qui les diffusent. En classe, il n'est pas facile de travailler sur ce flux et de le faire percevoir aux élèves. On pourrait imaginer qu'un documentaliste charge différents groupes d'élèves de relever, toutes les heures par exemple, les titres et les "leads" en ligne dans telle ou telle rubrique du "journal Internet". En établissant la chronologie des actualités de la journée, les élèves constateront l'apparition et la disparition rapide de certaines informations, la persistance et l'évolution d'autres. C'est une démarche qui s'inspire de l'analyse des informations sur une radio en continu comme France Info, ou une chaîne de télévision comme LCI, pratiquée par des enseignants.

Notons pour finir que travailler avec et sur les dépêches en ligne ne permet pas d'étudier la notion de lien et d'écriture hypertexte. Sauf à inventer une autre forme de journal Internet... Pourquoi ne pas essayer, avec les élèves, de lier entre elles toutes les dépêches qui portent sur le même sujet? On importe les textes sur son disque dur (autorisation), on cherche la notion commune à deux ou plusieurs dépêches, on les relie et on crée une structure arborescente. Ou encore on part d'une dépêche relatant une information proche des jeunes (géographiquement proche ou concernant leurs centres d'intérêt), et les élèves écrivent leurs propres textes en reprenant, illustrant, commentant, expliquant un mot, une idée présente dans la dépêche. Il s'agit là, sans doute, de pistes à explorer pour apprendre à écrire et à lire l'hypertexte. Les dépêches ne sont alors plus qu'un prétexte à rebondir sur de nouvelles pratiques, vers de nouveaux objectifs.

Droit de reproduction des dépêches

Chacun sait que les dépêches de l'AFP sont protégées par le copyright, au même titre que tous les écrits en ligne. Faire connaître aux élèves la notion de droit d'auteur et de respect de la propriété intellectuelle fait partie de l'éducation civique. Cela implique que les enseignants qui importent ou font importer des textes dans leur disque dur expliquent d'abord ces notions aux élèves.
L'AFP autorise généralement l'exploitation de ses dépêches et de ses photos dans le cadre scolaire. Mais c'est une tolérance. Il est bien sûr interdit, sans autorisation explicite, de publier textes ou images de l'AFP dans un journal scolaire papier quand il est vendu.