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LES CONFÉRENCES DU CLEMI

Enseigner l'image

par Françoise Sublet, maître de conférences en sciences de l'Education à l'université de Toulouse le Mirail, responsable de la formation continue de l'académie de Toulouse

Extraits de la conférence prononcée à Toulouse, en juillet 1997, au cours d'une formation nationale intitulée "L'image d'information à l'Ecole: de l'innovation à sa généralisation". Le texte a été publié dans son intégralité dans des actes parus en 1998.

"Pour aborder ce thème, je commencerai en récapitulant un certain nombre de notions qui nous serviront de référents théoriques pour voir comment l'institution et les enseignants qui y travaillent ont pu comprendre précisément le fait d'enseigner avec les images. En effet, depuis une cinquantaine d'années, l'enseignement avec les images n'a pas été conçu ni compris de la même façon.

J'ai tenu à faire cette approche théorique et historique parce que je suis persuadée que coexistent actuellement des conceptions hétérogènes de l'enseignement avec les images, héritées de l'histoire. Que vous soyez enseignant, formateur, coordonnateur CLEMI, les personnes avec lesquelles vous travaillez et vous-mêmes pouvez avoir des conceptions diverses et variées: j'ai donc pensé qu'il était important que vous ayez quelques repères qui peuvent permettre un dialogue, un travail en coopération. Repérer les conceptions et pratiques des autres, même si elles sont différentes des nôtres, incite à les respecter, les comprendre, et voir ce qu'on peut découvrir ensemble, où sont les points de conflit.

I. Qu'est-ce que l'image ?

Je ne me lancerai pas dans des définitions théoriques de l'image: ce n'est pas le lieu. Je me contenterai de reprendre certaines notions qui peuvent éclairer la diversité des conceptions de l'enseignement avec l'image, en m'appuyant d'abord sur un éclairage déjà ancien (1970) donné par Michel Tardy sur les trois référents de l'image que sont les langages, le réel, le sujet et ses "fantasmes". Un schéma à télécharger et à imprimer rend compte de la complexité de la production-réception des images.

l'image est constituée d'un ensemble de langages en interaction
L'image visuelle est elle-même constituée par l'articulation de codes différents (formes, couleurs, cadrages, etc). L'image peut être aussi sonore (bruits, musique, paroles, silence) qui ont aussi leurs propres codes (intensité, hauteur, etc). De plus en plus, le langage verbal (oral, écrit) associé à l'image, est à l'origine d'images complexes où les langages sont en interaction les uns avec les autres.

le rapport au réel
La particularité de l'image, c'est qu'elle entretient toujours un rapport avec le réel du monde ou de l'imaginaire. Ce rapport est plus ou moins d'ordre analogique ou symbolique. Toutefois, ce qui différencie le signe iconique du signe verbal arbitraire est bien cet effet de figuration plus ou moins concrète qui renvoie le récepteur à des éléments du réel.

le sujet récepteur et constructeur de l'image
Le troisième référentiel de l'image, c'est le sujet qui la regarde et en construit les significations. Ce sujet engage en effet dans la réception de l'image de multiples compétences telles que la vision, la perception, la reconnaissance, la compréhension, l'imagination, l'investissement personnel (ce que M. Tardy appelle les "fantasmes"). Je voudrais insister particulièrement sur le travail intellectuel que permet le langage verbal dans la réception des images. E. Benveniste (1966) distingue par exemple le rôle de la parole pour "mettre en parallèle" images et langage verbal, en essayant de traduire, de dire la même chose avec des mots. Mais un autre rôle de la parole est essentiel en particulier à l'école quand elle sert à analyser, interpréter, mettre en relation les divers éléments de l'image pour mieux la comprendre. Enfin, il est aussi possible de créer "en correspondance" un texte à partir d'une image, en essayant de trouver avec les moyens propres au langage verbal certains effets esthétiques créés grâce aux signifiants de l'image: le poète Jean Tardieu, qui a créé des textes à partir des aquarelles de Jean Bazaine, n'a essayé ni de traduire, ni d'expliquer mais de trouver avec le pouvoir propre des mots une correspondance avec la peinture.

Ces trois référentiels de l'image jouent donc dans sa réception, quelles que soient ses fonctions (informer, distraire, donner du plaisir d'ordre ludique ou esthétique), quelles que soient les valeurs qu'elle véhicule.

le contexte de production et de réception des images
Dans les années 70, en linguistique, en sémiotique, dans l'analyse des médias, on s'est beaucoup penché sur la situation d'énonciation. Je voudrais donc replacer la perspective de M. Tardy dans ce contexte de production et de réception, en proposant un schéma inspiré par P. Schaeffer dans les "Machines à communiquer" (1970). Ce schéma inscrit bien les trois référentiels de l'image dans un contexte de production qui décrit le chemin de "l'image source" avant qu'elle ne parvienne au récepteur: l'image est toujours inscrite dans des dispositifs de présentation, de sélection, de "conditionnement", de circulation. A qui et à quoi sert un album de photos familial? Qui va le regarder? Quand? Qui a traité et disposé les photos dans l'album? A la télévision, comment s'effectue la sélection des images retenues pour leur présentation dans un journal télévisé, quand vont-elles être présentées dans le temps, quelle sera la durée consacrée, les images seront-elles accompagnées ou non d'un commentaire, fait par qui?
C'est celui qui est à la base de l'image source qui a fait un certain nombre de choix plus ou moins conscients au niveau du réel retenu, des codes sollicités, des effets à obtenir pour le futur récepteur. Mais cette "image-source" va être inscrite dans un processus complexe de production privée ou professionnelle, artisanale ou de masse, avec les médias. P. Schaeffer a montré comment derrière le dispositif apparent de présentation des images à la télévision, il existe des "milieux autorisés" (pouvoirs économiques, politiques, sociaux, culturels) qui exercent leurs influences sur le collectif de production. Le téléspectateur bien souvent n'a pas conscience de la façon dont les images initiales ont été ainsi traitées en fonction d'un certain nombre de contraintes.

Selon les périodes de l'histoire de l'enseignement des images, certaines zones de ce schéma ont été activées: on va voir par la suite que l'institution scolaire a privilégié par exemple tantôt la représentation du réel, tantôt les langages de l'image, et que ce n'est que très récemment que le sujet récepteur ainsi que le contexte de production-réception ont été pris en compte.

Tout le problème est d'aider les enseignants à prendre conscience des choix qu'ils ont faits, des zones de ce schéma sélectionnées ou ignorées, des enjeux sous-jacents à ces choix.

II. L'enseignement-apprentissage des images

Je vais me servir ici d'un second schéma qui présente la situation bien connue d'enseignement-apprentissage avec ses trois pôles (l'élève, le savoir, l'enseignant), en la situant dans des contextes plus larges. J'ai déjà parlé dans la partie précédente de l'image (savoir à enseigner). J'aborderai ici les deux autres pôles: l'enseignant et l'élève. Un schéma à télécharger et à imprimer rend compte des situations d'enseignement et d'apprentissage des images en contexte.

l'enseignant et les images à l'école: une personne et un professionnel
L'enseignant est d'abord une personne -ce que l'on a un peu tendance à oublier- et cette personne a, vis-à-vis de ce qu'elle a à faire acquérir, des attitudes, savoirs et savoir-faire. Ainsi, quand vous vous êtes vous-mêmes présentés, plusieurs ont déclaré qu'ils étaient venus ici pour leur intérêt personnel pour l'image, avec une histoire particulière la concernant.
Ensuite, l'enseignant est un professionnel qui exerce dans une classe, laquelle est dans un établissement, lui-même dans une institution. Selon les époques, ces trois niveaux de contexte (classe, établissement, institution) ont été plus ou moins pris en compte: ce n'est que très récemment qu'on s'est ainsi intéressé au niveau de l'établissement par exemple. Ce professionnel doit aider les élèves à acquérir des compétences relatives aux savoirs scolaires, tels que l'institution les définit à moment donné, en s'appuyant sur ses propres savoirs, sur ceux que l'institution l'a plus ou moins aidé à acquérir à travers sa formation initiale et continue.

les savoirs scolaires, produits d'une construction complexe
Dans ces divers contextes, l'enseignant doit donc aider les élèves à apprendre des savoirs et savoir-faire dans des champs divers. Ce n'est que depuis peu aussi (avec par exemple les travaux de Chevallard sur la "transposition didactique" dans les années 80) qu'on a pris conscience que les savoirs à enseigner étaient en fait le produit d'une construction complexe, réalisée à partir de "savoirs savants" certes, mais aussi de choix idéologiques, de la prise en considération de pratiques sociales de référence, des possibilités cognitives des enfants.
Lorsque sont élaborés des programmes d'enseignement, les responsables "piochent" dans des savoirs savants divers, en fonction de certaines valeurs aussi, mais tiennent compte aussi de ce qui se pratique dans la société par rapport à ces savoirs: selon les époques, on verra que certaines pratiques sociales sont privilégiées, d'autres rejetées. Pendant longtemps ainsi, l'institution scolaire n'a reconnu aux images que le pouvoir de concrétiser la parole du maître, les recherches en sémiologie n'étant pas avancées (niveau des savoirs savants), l'image étant dévalorisée par rapport à l'écrit (niveau des choix idéologiques), la pratique sociale de la lecture savante de l'écrit (analyse/explication de texte) servant de pratique sociale de référence pour une éventuelle lecture de l'image.

L'élève et les images
Quant à l'élève, il arrive à l'école avec des pratiques culturelles, des attitudes, des savoirs sur l'image, acquis dans la famille, à l'école, dans d'autres institutions éducatives. On oublie souvent qu'un certain nombre de recherches en psychologie et sociologie nous permettent de mieux connaître ces compétences acquises, variables selon les milieux socioculturels d'origine. Le problème sera de se demander si l'école tient compte de tout ce que l'élève connaît et sait déjà faire, des pratiques culturelles familiales: ainsi pendant longtemps l'école a refusé d'introduire à l'école les messages médiatiques bien connus des élèves, sous prétexte d'en combattre les effets supposés néfastes.

Comme je le mentionnais en début de mon exposé, l'école a beaucoup évolué dans sa façon de concevoir l'enseignement avec les images: elle a sollicité successivement certains savoirs sur l'image, certaines conceptions du rôle des enseignants et des apprentissages des élèves. Je vais donc tracer rapidement les grandes étapes de cette histoire.

III. L'école et les images: perspective historique

l'image au service de la parole du maître
L'école depuis J. Ferry n'a jamais perdu de temps pour introduire l'image à travers des technologies nouvelles. Dès la fin des années 1880, les cartes de France sont introduites dans les classes, de même que les illustrations de manuels, mais aussi les photographies sur plaques de verre projetées dans des lanternes à pétrole pour accompagner les cours de sciences naturelles. On peut dire que les innovations au niveau des matériels et supports n'ont pas été laissées à la porte de l'école: si la télévision grand public démarre en France en 1949, elle commence à entrer à l'école vers 1953-54. Et pourtant les pratiques pédagogiques n'ont pas évolué aussi vite.

Des années 1880 jusque vers 1970, c'est en effet la même conception de l'enseignement de l'image qui va prédominer:
- C'est essentiellement la fonction d'information qui est sollicitée, avec la recherche du référent réel dans l'image, au sein d'un système de valeurs où est présenté comme "vrai" ce qui a les apparences du scientifique. Par ailleurs, on n'est pas du tout sensible au fait que le référent réel est traité par des langages: il y a bien là l'illusion que l'image est "transparente", que ce qu'elle montre est le réel (et non pas des éléments du réel sélectionnés et traités à travers les langages de l'image).
- Les savoirs transmis aux élèves ne sont pas des savoirs sur l'image, mais sur les disciplines scolaires.
- En cours, on n'utilise que des images scolaires (produites essentiellement par l'Institut Pédagogique National, devenu plus tard l'INRDP, puis le CNDP), dans une situation de réception relativement passive, en enseignement frontal. L'image représente un simple auxiliaire d'enseignement au service de la parole toute puissante du maître pour concrétiser, illustrer, parfois motiver, faire s'exprimer. Du point de vue intellectuel, on attend des élèves essentiellement la mise en parallèle des images et des mots ( dire "la même chose" que les images avec des mots).
- En 1963, le Plan audio-visuel met à disposition des enseignants un ensemble d'émissions de TV scolaire (jusqu'à 28 heures en direct par semaine), mais dans un contexte très difficile (pas de formation, attitude très critique des enseignants, magnétoscopes inconnus encore dans les établissements, d'où problèmes pour organiser la réception).
- Les enseignants n'ont pas reçu de formation sur les images: à cette époque la formation des enseignants était fort courte: bac + 1 pour les instituteurs, jusque dans les années 70, une année de Centre Pédagogique Régional pour les professeurs certifiés (essentiellement centrée sur les stages) et un mois de stage pour les agrégés.

La situation va évoluer à partir des années 70 dans un certain nombre de "niches"innovantes.

A partir des années 70, centration sur les images, objets d'une lecture plurielle par des récepteurs actifs
On va assister à cette époque-là à une innovation officielle, mais réduite. Le Ministère s'est rendu compte que le Plan audiovisuel créé en 1963 a été un échec: personne ou presque n'a utilisé les émissions scolaires pour les raisons évoquées plus haut. Le Ministère a donc préféré encourager les innovations dans des niches réduites.

- l'ICAV (Initiation à la Communication Audio-Visuelle), transformée ensuite en ICOM (Initiation à la Communication et aux Medias) a été un de ces terrains d'innovation au cours des années 70. On assiste à un changement complet de perspective:
L'image est bien considérée comme un lieu de langages en interaction qu'on peut analyser en s'appuyant sur les savoirs savants issus de la sémiologie naissante.
Le sujet-spectateur est pris en compte, puisque toutes les séances ICAV devaient commencer par un moment où les élèves doivent exprimer ce qu'ils ont vu, compris et ressenti devant les images. On découvre ensemble un "pluriel de sens", et progressivement les élèves essayent d'élaborer une signification de base commune à l'ensemble de la classe, tout en repérant précisément, à travers le jeu des connotations, ce qui peut relever d'une lecture individuelle.
La pratique sociale de référence est celle du critique de cinéma et de télévision ou encore de l'animateur de ciné-club. Ceci pose problème, car la tradition française veut toujours mettre la barre très haut, comme on l'avait fait avant pour la lecture de textes littéraires, et pour se faire accepter dans l'institution scolaire, il a fallu prouver qu'on pouvait faire aussi une lecture savante de l'image.
Du coup, le référent "réel" est un peu oublié, ou du moins n'est pas traité comme inscrit dans des disciplines scolaires. Les "heures ICAV" étaient en effet détachées des disciplines, ce qui explique une plus grande centration sur les langages.
Les enseignants ICAV insistent aussi sur les valeurs qui traversent l'image, avec des activités sur la publicité.
Remarquons cependant que la plupart des images analysées sont scolaires, et qu'il faudra attendre la fin des années 70 pour que les médias soient pleinement reconnus dans l'ICOM.

Ainsi, grâce à cette expérience, le professeur est autrement positionné dans la relation élève/savoir: il aide à apprendre, il met en place des situations où l'élève peut s'approprier un certain nombre de savoirs, grâce à des dispositifs qui le rendent actif.
Notons que cette innovation a eu comme effet un renouvellement des textes officiels de l'enseignement primaire: les Instructions Officielles des années 1977, 78 et 79 reconnaissent l'importance de l'éducation à l'image, instrument et objet de culture. Nous sommes loin de l'ancien auxiliaire d'enseignement, puisque la fonction instrumentale de l'image est essentielle: grâce à elle, on peut accéder à des savoirs nouveaux, on peut développer des capacités d'analyse et d'interprétation, on peut accéder à de nouvelles formes de culture.

- l'opération JTA (Jeune Téléspectateur Actif, 1979-82), va alors reprendre ces perspectives, mais les élargir à la prise en compte des pratiques médiatiques des élèves en dehors de l'école. Dans un contexte bien particulier (recherches sur les effets de la TV, sur les relations entre TV et violence), plusieurs ministères (Education Nationale, Culture, Santé) soutenus par les chaînes de télévision, vont concevoir un dispositif original pour éduquer les élèves aux médias non seulement à l'école, mais dans d'autres institutions éducatives (familles, bibliothèques, associations...).
Précisément, la pratique sociale de référence va devenir celle du citoyen éclairé et actif: de la même façon que Condorcet avait présenté l'accès à l'écrit comme une condition essentielle de l'accès individuel à la vie de la Cité, se développe en effet l'idée qu'il est nécessaire d'aborder les médias à l'école, pour rendre les élèves actifs et critiques, capables d'avoir une attitude d'analyse et de distance vis-à-vis des médias.
Les émissions analysées seront celles que regardent les enfants chez eux, des dessins animés aux variétés et fictions, en passant par les documentaires et journaux télévisés.
Autre nouveauté: on ne s'intéresse pas seulement au regard critique sur les émissions, mais aussi aux pratiques réelles des enfants (choix des émissions, modalités de réception...), aux effets de la télévision sur les spectateurs et aux conditions de production. Le contexte de production et de réception des images est alors pleinement reconnu.
Les savoirs savants sollicités sont d'origine multiples: sémiologie, psychologie et sociologie des médias, sciences de l'information et de la communication... Les pratiques sociales de références ne sont plus seulement celles du critique de cinéma ou de télévision, mais on prend aussi en compte les pratiques des enfants, des familles, diverses selon les groupes sociaux.
Enfin, la formation des adultes éducateurs divers est au cœur du dispositif JTA: les moyens qui sont donnés à cette opération sont orientés vers la formation de différents types d'éducateurs (animateurs, travailleurs sociaux, parents, enseignants...). Bref, l'action de l'école se situe dans un contexte plus large qui appelle une collaboration avec divers partenaires.
Du coup, les formateurs de JTA ont dû peu à peu découvrir ce qui faisait l'originalité de cette éducation aux médias dans le contexte scolaire: ayant moi-même participé à cette opération sur le site de Toulouse, je peux rendre compte de notre évolution. Au départ, nous nous sommes assez peu souciés de l'articulation entre les formations JTA et les autres séances de travail scolaire. Or très vite, vu les réticences des enseignants, il a fallu rectifier ce point de vue et intégrer l'éducation à la TV dans les disciplines scolaires. Au lieu d'aborder le feuilleton Goldorak uniquement pour lui-même, on l'a abordé en parallèle avec la lecture d'un roman, trouvant alors des références sémiologiques communes ou différentes pour faire l'analyse d'une fiction, qu'elle soit écrite ou télévisuelle.

C'était ainsi reconnaître qu'il n'était pas souhaitable, comme l'avait fait l'ICAV, de faire des "heures à part" pour aborder la télévision: nous avons découvert alors que si les images doivent rentrer à l'école, elles le feront essentiellement par les disciplines, mêmes si ces dernières doivent relever d'un dialogue dans des projets interdisciplinaires, ancré dans des orientations communes. Voici par exemple un texte rédigé en 1989 par une formatrice de la MAFPEN qui avait participé à l'opération JTA, Claudette Delprat, et qui proposait aux divers groupes disciplinaires de la MAFPEN les orientations suivantes pour développer des compétences pour la prise d'informations sur support video:

"Chez l'élève:
1. repérer les fonctions et enjeux du document narratif, explicatif, informatif, injonctif à intention didactique ou non.
2. identifier les sources et les types d'images: archives, images de synthèse, dessin d'animation...
3. repérer les dispositifs d'émission (plateau, extérieur, interview...)
4. reconnaître les codes spécifiques et leur articulation avec les effets de sens.
5. connaître les outils d'analyse qui permettent d'affiner la construction du sens ou de légitimer l'interprétation
6. formuler un questionnement en fonction d'un projet de travail.
7. savoir prendre des notes pour stocker une information ou la retrouver.

Chez l'enseignant:
1. connaître les différents paramètres qui vont influencer la réception: conditions de réception, savoirs préalables, variables individuelles des élèves.
2. savoir déterminer la place et la fonction de documents dans une séquence didactique: illustrer un cours, susciter l'interrogation, apporter des informations, évaluer.
3. favoriser chez l'élève l'engagement dans la tâche et la mise en projet.
4. développer chez l'élève les processus de questionnement.
5. connaître les compétences des élèves (cf compétences 1, 2, 3, 4 précédemment citées).
6. connaître les modèles d'analyse des images.
7. connaître des pratiques pédagogiques qui permettent de créer des situations d'apprentissage chez les élèves."

- Après JTA, l'opération "Video-collège"(1985) a été une autre niche d'innovation, visant la production d'images par les collégiens, complétant ainsi la perspective de JTA, plus centrée sur la lecture des médias. De même, le dispositif "Media-Formation" dans les Ecoles Normales d'Instituteurs a contribué à poursuivre et développer dans le Primaire les orientations de JTA.
Les Instructions Officielles de 1985 pour les écoles et collèges reprendront certaines des perspectives de JTA, puisqu'elles recommandent de former un futur citoyen actif et critique face aux médias et qu'elles demandent au professeur de français d'enseigner "l'oral, l'écrit, l'image". D'ailleurs c'est bien ce choix qui inspire la création du CLEMI (Centre de Liaison de l'Enseignement et des Moyens d'Information) en 1983, qui est aujourd'hui encore centré sur cette éducation aux médias, en retenant essentiellement la fonction d'information de ces derniers. Notons que les autres fonctions liées au divertissement, aux fictions n'ont pas fait partie du champ du CLEMI.

Les années 90: une autre conception de l'innovation dans un contexte de bouleversement technologique et culturel, avec les TIC (Technologies de l'Information et de la Communication)
Si on observe les effets des diverses innovations des années 70 et 80, à travers des études et enquêtes sur les pratiques des enseignants, on peut constater que certes les images médiatiques sont acceptées à l'école, mais que les pratiques effectives sont extrêmement variées selon les disciplines (cf. leur intégration ou non dans les programmes), selon les contextes locaux (équipements, impulsion du chef d'établissement, politique académique). Je participe moi-même à une recherche dans le cadre de la Direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'Education français, où nous avons pu faire observer pendant une semaine des professeurs de français enseignant en sixième au cours de l'année 1995: sur près de 150 séances observées dans 32 classes, nous avons trouvé uniquement 3 séances consacrées à l'étude de l'image...

Bref, d'énormes efforts restent à faire: les innovations des années 70 et 80 ont eu des effets positifs au niveau des textes officiels, mais pas forcément au niveau des pratiques effectives. Du coup, une autre conception de l'innovation a été proposée en particulier avec le dispositif "Innovation-Réussite" depuis 1995: il faut faire confiance au terrain, et aider les innovations diverses à se faire connaître. Pour la première fois, on donne des moyens non pas pour faire des innovations, mais pour les communiquer et réfléchir sur les conditions du transfert à d'autres contextes, en insistant sur le fait qu'est aussi intéressant le processus qui a permis de mettre en place l'innovation que l'innovation elle-même. Les thèmes des innovations sont très variés et l'un d'entre eux concerne précisément les TIC.
On a vu aussi apparaître depuis 1995 une autre initiative: des correspondants académiques TIC disciplinaires sont chargés d'impulser et de suivre les innovations dans diverses disciplines, ce qui permet de poursuivre ce mouvement de banalisation et d'intégration des TIC dans les divers savoirs scolaires.
Par ailleurs, ces efforts pour encourager les innovations de terrain se déroulent dans un contexte de bouleversement technologique qui favorise l'accès aux informations et la communication à l'échelle de la planète avec Internet. Les élèves et les professeurs peuvent encore, grâce aux structures des hypertextes, entrer plus librement dans l'univers du multimédia. Par l'action de l'ordinateur, l'image peut être appelée avec plusieurs fonctions, elle peut être analysée, manipulée, transformée: bref il y a là, grâce à l'aide de l'ordinateur, une aide formidable à l'apprentissage individuel et à l'échange.

Pour autant, est-ce que cette confiance faite au terrain ainsi que ces innovations technologiques vont entraîner la banalisation des pratiques de l'image dans les classes et établissement? Je terminerai, en guise d'éclairage pour répondre à cette question, en citant quelques idées contenues dans le rapport récent du sénateur Girard, qui a le mérite d'attirer l'attention sur la complexité des actions à mettre en œuvre pour obtenir une intégration, une banalisation des TIC à l'école, dans une perspective qu'on peut qualifier de systémique:
- prendre en compte l'intégration des TIC dans les savoirs disciplinaires, mais envisager aussi des savoirs transversaux aux disciplines, en visant l'autonomie des élèves, considérés dans leur diversité.
- inscrire la situation d'enseignement-apprentissage dans des espaces-temps pluriels. Pour l'espace, on pense classe, CDI, domicile du professeur, salle des professeurs, établissement. L'espace, c'est aussi l'espace planétaire via les autoroutes de l'information. Quant au temps, il ne doit pas être soumis aux emplois du temps rigides, mais au contraire relever de temps diversifiés, disciplinaires et transversaux, avec recours à un emploi du temps souple.
- avoir le droit à la liberté pédagogique, mais en même temps, nécessité de s'investir dans un travail d'équipe: la liberté pédagogique et l'évolution du système éducatif ne peuvent se faire que par un investissement collectif.
- prendre en compte le niveau de l'établissement où peuvent se régler un certain nombre de problèmes dans une équipe plurielle, avec parents, éducateurs, enseignants, administratifs...
- s'engager dans le partenariat: il revient certes à l'Etat d'assumer par exemple l'expérimentation et la production de produits pédagogiques, mais le travail avec les collectivités territoriales, France Télécom est essentiel. Ici encore, il faut une véritable coordination de l'institution centrale, du rectorat, des inspections pour que tout soit fait au service des établissements.
- engagement des chefs d'établissement, aidés par la formation, des personnes-ressource de proximité.

Pour que les innovations se développent, c'est donc tout un ensemble qui doit évoluer à ces divers niveaux."

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