"Pour
aborder ce thème, je commencerai en récapitulant
un certain nombre de notions qui nous serviront de
référents théoriques pour voir
comment l'institution et les enseignants qui y travaillent
ont pu comprendre précisément le fait
d'enseigner avec les images. En effet, depuis une
cinquantaine d'années, l'enseignement avec
les images n'a pas été conçu
ni compris de la même façon.
J'ai
tenu à faire cette approche théorique
et historique parce que je suis persuadée que
coexistent actuellement des conceptions hétérogènes
de l'enseignement avec les images, héritées
de l'histoire. Que vous soyez enseignant, formateur,
coordonnateur CLEMI, les personnes avec lesquelles
vous travaillez et vous-mêmes pouvez avoir des
conceptions diverses et variées: j'ai donc
pensé qu'il était important que vous
ayez quelques repères qui peuvent permettre
un dialogue, un travail en coopération. Repérer
les conceptions et pratiques des autres, même
si elles sont différentes des nôtres,
incite à les respecter, les comprendre, et
voir ce qu'on peut découvrir ensemble, où
sont les points de conflit.
I. Qu'est-ce que l'image ?
Je
ne me lancerai pas dans des définitions théoriques
de l'image: ce n'est pas le lieu. Je me contenterai
de reprendre certaines notions qui peuvent éclairer
la diversité des conceptions de l'enseignement
avec l'image, en m'appuyant d'abord sur un éclairage
déjà ancien (1970) donné par
Michel Tardy sur les trois référents
de l'image que sont les langages, le réel,
le sujet et ses "fantasmes". Un schéma
à télécharger et à
imprimer rend compte de la complexité de la
production-réception des images.
l'image est constituée d'un ensemble de langages
en interaction
L'image visuelle est elle-même constituée
par l'articulation de codes différents (formes,
couleurs, cadrages, etc). L'image peut être
aussi sonore (bruits, musique, paroles, silence) qui
ont aussi leurs propres codes (intensité, hauteur,
etc). De plus en plus, le langage verbal (oral, écrit)
associé à l'image, est à l'origine
d'images complexes où les langages sont en
interaction les uns avec les autres.
le rapport au réel
La particularité de l'image, c'est qu'elle
entretient toujours un rapport avec le réel
du monde ou de l'imaginaire. Ce rapport est plus ou
moins d'ordre analogique ou symbolique. Toutefois,
ce qui différencie le signe iconique du signe
verbal arbitraire est bien cet effet de figuration
plus ou moins concrète qui renvoie le récepteur
à des éléments du réel.
le sujet récepteur et constructeur de l'image
Le troisième référentiel de l'image,
c'est le sujet qui la regarde et en construit les
significations. Ce sujet engage en effet dans la réception
de l'image de multiples compétences telles
que la vision, la perception, la reconnaissance, la
compréhension, l'imagination, l'investissement
personnel (ce que M. Tardy appelle les "fantasmes").
Je voudrais insister particulièrement sur le
travail intellectuel que permet le langage verbal
dans la réception des images. E. Benveniste
(1966) distingue par exemple le rôle de la parole
pour "mettre en parallèle" images et langage
verbal, en essayant de traduire, de dire la même
chose avec des mots. Mais un autre rôle de la
parole est essentiel en particulier à l'école
quand elle sert à analyser, interpréter,
mettre en relation les divers éléments
de l'image pour mieux la comprendre. Enfin, il est
aussi possible de créer "en correspondance"
un texte à partir d'une image, en essayant
de trouver avec les moyens propres au langage verbal
certains effets esthétiques créés
grâce aux signifiants de l'image: le poète
Jean Tardieu, qui a créé des textes
à partir des aquarelles de Jean Bazaine, n'a
essayé ni de traduire, ni d'expliquer mais
de trouver avec le pouvoir propre des mots une correspondance
avec la peinture.
Ces
trois référentiels de l'image jouent
donc dans sa réception, quelles que soient
ses fonctions (informer, distraire, donner du plaisir
d'ordre ludique ou esthétique), quelles que
soient les valeurs qu'elle véhicule.
le contexte de production et de réception
des images
Dans les années 70, en linguistique, en sémiotique,
dans l'analyse des médias, on s'est beaucoup
penché sur la situation d'énonciation.
Je voudrais donc replacer la perspective de M. Tardy
dans ce contexte de production et de réception,
en proposant un schéma inspiré par P.
Schaeffer dans les "Machines à communiquer"
(1970). Ce schéma inscrit bien les trois référentiels
de l'image dans un contexte de production qui décrit
le chemin de "l'image source" avant qu'elle ne parvienne
au récepteur: l'image est toujours inscrite
dans des dispositifs de présentation, de sélection,
de "conditionnement", de circulation. A qui et à
quoi sert un album de photos familial? Qui va le regarder?
Quand? Qui a traité et disposé les photos
dans l'album? A la télévision, comment
s'effectue la sélection des images retenues
pour leur présentation dans un journal télévisé,
quand vont-elles être présentées
dans le temps, quelle sera la durée consacrée,
les images seront-elles accompagnées ou non
d'un commentaire, fait par qui?
C'est celui qui est à la base de l'image source
qui a fait un certain nombre de choix plus ou moins
conscients au niveau du réel retenu, des codes
sollicités, des effets à obtenir pour
le futur récepteur. Mais cette "image-source"
va être inscrite dans un processus complexe
de production privée ou professionnelle, artisanale
ou de masse, avec les médias. P. Schaeffer
a montré comment derrière le dispositif
apparent de présentation des images à
la télévision, il existe des "milieux
autorisés" (pouvoirs économiques, politiques,
sociaux, culturels) qui exercent leurs influences
sur le collectif de production. Le téléspectateur
bien souvent n'a pas conscience de la façon
dont les images initiales ont été ainsi
traitées en fonction d'un certain nombre de
contraintes.
Selon
les périodes de l'histoire de l'enseignement
des images, certaines zones de ce schéma ont
été activées: on va voir par
la suite que l'institution scolaire a privilégié
par exemple tantôt la représentation
du réel, tantôt les langages de l'image,
et que ce n'est que très récemment que
le sujet récepteur ainsi que le contexte de
production-réception ont été
pris en compte.
Tout
le problème est d'aider les enseignants à
prendre conscience des choix qu'ils ont faits, des
zones de ce schéma sélectionnées
ou ignorées, des enjeux sous-jacents à
ces choix.
II. L'enseignement-apprentissage des images
Je
vais me servir ici d'un second schéma qui présente
la situation bien connue d'enseignement-apprentissage
avec ses trois pôles (l'élève,
le savoir, l'enseignant), en la situant dans des contextes
plus larges. J'ai déjà parlé
dans la partie précédente de l'image
(savoir à enseigner). J'aborderai ici les deux
autres pôles: l'enseignant et l'élève.
Un schéma à télécharger
et à imprimer rend compte des situations d'enseignement
et d'apprentissage des images en contexte.
l'enseignant et les images à l'école:
une personne et un professionnel
L'enseignant est d'abord une personne -ce que l'on
a un peu tendance à oublier- et cette personne
a, vis-à-vis de ce qu'elle a à faire
acquérir, des attitudes, savoirs et savoir-faire.
Ainsi, quand vous vous êtes vous-mêmes
présentés, plusieurs ont déclaré
qu'ils étaient venus ici pour leur intérêt
personnel pour l'image, avec une histoire particulière
la concernant.
Ensuite, l'enseignant est un professionnel qui exerce
dans une classe, laquelle est dans un établissement,
lui-même dans une institution. Selon les époques,
ces trois niveaux de contexte (classe, établissement,
institution) ont été plus ou moins pris
en compte: ce n'est que très récemment
qu'on s'est ainsi intéressé au niveau
de l'établissement par exemple. Ce professionnel
doit aider les élèves à acquérir
des compétences relatives aux savoirs scolaires,
tels que l'institution les définit à
moment donné, en s'appuyant sur ses propres
savoirs, sur ceux que l'institution l'a plus ou moins
aidé à acquérir à travers
sa formation initiale et continue.
les savoirs scolaires, produits d'une construction
complexe
Dans ces divers contextes, l'enseignant doit donc
aider les élèves à apprendre
des savoirs et savoir-faire dans des champs divers.
Ce n'est que depuis peu aussi (avec par exemple les
travaux de Chevallard sur la "transposition didactique"
dans les années 80) qu'on a pris conscience
que les savoirs à enseigner étaient
en fait le produit d'une construction complexe, réalisée
à partir de "savoirs savants" certes, mais
aussi de choix idéologiques, de la prise en
considération de pratiques sociales de référence,
des possibilités cognitives des enfants.
Lorsque sont élaborés des programmes
d'enseignement, les responsables "piochent" dans des
savoirs savants divers, en fonction de certaines valeurs
aussi, mais tiennent compte aussi de ce qui se pratique
dans la société par rapport à
ces savoirs: selon les époques, on verra que
certaines pratiques sociales sont privilégiées,
d'autres rejetées. Pendant longtemps ainsi,
l'institution scolaire n'a reconnu aux images que
le pouvoir de concrétiser la parole du maître,
les recherches en sémiologie n'étant
pas avancées (niveau des savoirs savants),
l'image étant dévalorisée par
rapport à l'écrit (niveau des choix
idéologiques), la pratique sociale de la lecture
savante de l'écrit (analyse/explication de
texte) servant de pratique sociale de référence
pour une éventuelle lecture de l'image.
L'élève et les images
Quant à l'élève, il arrive
à l'école avec des pratiques culturelles,
des attitudes, des savoirs sur l'image, acquis dans
la famille, à l'école, dans d'autres
institutions éducatives. On oublie souvent
qu'un certain nombre de recherches en psychologie
et sociologie nous permettent de mieux connaître
ces compétences acquises, variables selon les
milieux socioculturels d'origine. Le problème
sera de se demander si l'école tient compte
de tout ce que l'élève connaît
et sait déjà faire, des pratiques culturelles
familiales: ainsi pendant longtemps l'école
a refusé d'introduire à l'école
les messages médiatiques bien connus des élèves,
sous prétexte d'en combattre les effets supposés
néfastes.
Comme
je le mentionnais en début de mon exposé,
l'école a beaucoup évolué dans
sa façon de concevoir l'enseignement avec les
images: elle a sollicité successivement certains
savoirs sur l'image, certaines conceptions du rôle
des enseignants et des apprentissages des élèves.
Je vais donc tracer rapidement les grandes étapes
de cette histoire.
III. L'école et les images: perspective historique
l'image au service de la parole du maître
L'école depuis J. Ferry n'a jamais perdu de
temps pour introduire l'image à travers des
technologies nouvelles. Dès la fin des années
1880, les cartes de France sont introduites dans les
classes, de même que les illustrations de manuels,
mais aussi les photographies sur plaques de verre
projetées dans des lanternes à pétrole
pour accompagner les cours de sciences naturelles.
On peut dire que les innovations au niveau des matériels
et supports n'ont pas été laissées
à la porte de l'école: si la télévision
grand public démarre en France en 1949, elle
commence à entrer à l'école vers
1953-54. Et pourtant les pratiques pédagogiques
n'ont pas évolué aussi vite.
Des
années 1880 jusque vers 1970, c'est en effet
la même conception de l'enseignement de l'image
qui va prédominer:
- C'est essentiellement la fonction d'information
qui est sollicitée, avec la recherche du référent
réel dans l'image, au sein d'un système
de valeurs où est présenté comme
"vrai" ce qui a les apparences du scientifique. Par
ailleurs, on n'est pas du tout sensible au fait que
le référent réel est traité
par des langages: il y a bien là l'illusion
que l'image est "transparente", que ce qu'elle montre
est le réel (et non pas des éléments
du réel sélectionnés et traités
à travers les langages de l'image).
- Les savoirs transmis aux élèves ne
sont pas des savoirs sur l'image, mais sur les disciplines
scolaires.
- En cours, on n'utilise que des images scolaires
(produites essentiellement par l'Institut Pédagogique
National, devenu plus tard l'INRDP, puis le CNDP),
dans une situation de réception relativement
passive, en enseignement frontal. L'image représente
un simple auxiliaire d'enseignement au service de
la parole toute puissante du maître pour concrétiser,
illustrer, parfois motiver, faire s'exprimer. Du point
de vue intellectuel, on attend des élèves
essentiellement la mise en parallèle des images
et des mots ( dire "la même chose" que les images
avec des mots).
- En 1963, le Plan audio-visuel met à disposition
des enseignants un ensemble d'émissions de
TV scolaire (jusqu'à 28 heures en direct par
semaine), mais dans un contexte très difficile
(pas de formation, attitude très critique des
enseignants, magnétoscopes inconnus encore
dans les établissements, d'où problèmes
pour organiser la réception).
- Les enseignants n'ont pas reçu de formation
sur les images: à cette époque la formation
des enseignants était fort courte: bac + 1
pour les instituteurs, jusque dans les années
70, une année de Centre Pédagogique
Régional pour les professeurs certifiés
(essentiellement centrée sur les stages) et
un mois de stage pour les agrégés.
La
situation va évoluer à partir des années
70 dans un certain nombre de "niches"innovantes.
A partir des années 70, centration sur les
images, objets d'une lecture plurielle par des récepteurs
actifs
On va assister à cette époque-là
à une innovation officielle, mais réduite.
Le Ministère s'est rendu compte que le Plan
audiovisuel créé en 1963 a été
un échec: personne ou presque n'a utilisé
les émissions scolaires pour les raisons évoquées
plus haut. Le Ministère a donc préféré
encourager les innovations dans des niches réduites.
-
l'ICAV (Initiation à la Communication Audio-Visuelle),
transformée ensuite en ICOM (Initiation à
la Communication et aux Medias) a été
un de ces terrains d'innovation au cours des années
70. On assiste à un changement complet de perspective:
L'image est bien considérée comme un
lieu de langages en interaction qu'on peut analyser
en s'appuyant sur les savoirs savants issus de la
sémiologie naissante.
Le sujet-spectateur est pris en compte, puisque toutes
les séances ICAV devaient commencer par un
moment où les élèves doivent
exprimer ce qu'ils ont vu, compris et ressenti devant
les images. On découvre ensemble un "pluriel
de sens", et progressivement les élèves
essayent d'élaborer une signification de base
commune à l'ensemble de la classe, tout en
repérant précisément, à
travers le jeu des connotations, ce qui peut relever
d'une lecture individuelle.
La pratique sociale de référence est
celle du critique de cinéma et de télévision
ou encore de l'animateur de ciné-club. Ceci
pose problème, car la tradition française
veut toujours mettre la barre très haut, comme
on l'avait fait avant pour la lecture de textes littéraires,
et pour se faire accepter dans l'institution scolaire,
il a fallu prouver qu'on pouvait faire aussi une lecture
savante de l'image.
Du coup, le référent "réel" est
un peu oublié, ou du moins n'est pas traité
comme inscrit dans des disciplines scolaires. Les
"heures ICAV" étaient en effet détachées
des disciplines, ce qui explique une plus grande centration
sur les langages.
Les enseignants ICAV insistent aussi sur les valeurs
qui traversent l'image, avec des activités
sur la publicité.
Remarquons cependant que la plupart des images analysées
sont scolaires, et qu'il faudra attendre la fin des
années 70 pour que les médias soient
pleinement reconnus dans l'ICOM.
Ainsi,
grâce à cette expérience, le professeur
est autrement positionné dans la relation élève/savoir:
il aide à apprendre, il met en place des situations
où l'élève peut s'approprier
un certain nombre de savoirs, grâce à
des dispositifs qui le rendent actif.
Notons que cette innovation a eu comme effet un renouvellement
des textes officiels de l'enseignement primaire: les
Instructions Officielles des années 1977, 78
et 79 reconnaissent l'importance de l'éducation
à l'image, instrument et objet de culture.
Nous sommes loin de l'ancien auxiliaire d'enseignement,
puisque la fonction instrumentale de l'image est essentielle:
grâce à elle, on peut accéder
à des savoirs nouveaux, on peut développer
des capacités d'analyse et d'interprétation,
on peut accéder à de nouvelles formes
de culture.
-
l'opération JTA (Jeune Téléspectateur
Actif, 1979-82), va alors reprendre ces perspectives,
mais les élargir à la prise en compte
des pratiques médiatiques des élèves
en dehors de l'école. Dans un contexte bien
particulier (recherches sur les effets de la TV, sur
les relations entre TV et violence), plusieurs ministères
(Education Nationale, Culture, Santé) soutenus
par les chaînes de télévision,
vont concevoir un dispositif original pour éduquer
les élèves aux médias non seulement
à l'école, mais dans d'autres institutions
éducatives (familles, bibliothèques,
associations...).
Précisément, la pratique sociale de
référence va devenir celle du citoyen
éclairé et actif: de la même façon
que Condorcet avait présenté l'accès
à l'écrit comme une condition essentielle
de l'accès individuel à la vie de la
Cité, se développe en effet l'idée
qu'il est nécessaire d'aborder les médias
à l'école, pour rendre les élèves
actifs et critiques, capables d'avoir une attitude
d'analyse et de distance vis-à-vis des médias.
Les émissions analysées seront celles
que regardent les enfants chez eux, des dessins animés
aux variétés et fictions, en passant
par les documentaires et journaux télévisés.
Autre nouveauté: on ne s'intéresse pas
seulement au regard critique sur les émissions,
mais aussi aux pratiques réelles des enfants
(choix des émissions, modalités de réception...),
aux effets de la télévision sur les
spectateurs et aux conditions de production. Le contexte
de production et de réception des images est
alors pleinement reconnu.
Les savoirs savants sollicités sont d'origine
multiples: sémiologie, psychologie et sociologie
des médias, sciences de l'information et de
la communication... Les pratiques sociales de références
ne sont plus seulement celles du critique de cinéma
ou de télévision, mais on prend aussi
en compte les pratiques des enfants, des familles,
diverses selon les groupes sociaux.
Enfin, la formation des adultes éducateurs
divers est au cœur du dispositif JTA: les moyens
qui sont donnés à cette opération
sont orientés vers la formation de différents
types d'éducateurs (animateurs, travailleurs
sociaux, parents, enseignants...). Bref, l'action
de l'école se situe dans un contexte plus large
qui appelle une collaboration avec divers partenaires.
Du coup, les formateurs de JTA ont dû peu à
peu découvrir ce qui faisait l'originalité
de cette éducation aux médias dans le
contexte scolaire: ayant moi-même participé
à cette opération sur le site de Toulouse,
je peux rendre compte de notre évolution. Au
départ, nous nous sommes assez peu souciés
de l'articulation entre les formations JTA et les
autres séances de travail scolaire. Or très
vite, vu les réticences des enseignants, il
a fallu rectifier ce point de vue et intégrer
l'éducation à la TV dans les disciplines
scolaires. Au lieu d'aborder le feuilleton Goldorak
uniquement pour lui-même, on l'a abordé
en parallèle avec la lecture d'un roman, trouvant
alors des références sémiologiques
communes ou différentes pour faire l'analyse
d'une fiction, qu'elle soit écrite ou télévisuelle.
C'était
ainsi reconnaître qu'il n'était pas souhaitable,
comme l'avait fait l'ICAV, de faire des "heures à
part" pour aborder la télévision: nous
avons découvert alors que si les images doivent
rentrer à l'école, elles le feront essentiellement
par les disciplines, mêmes si ces dernières
doivent relever d'un dialogue dans des projets interdisciplinaires,
ancré dans des orientations communes. Voici
par exemple un texte rédigé en 1989
par une formatrice de la MAFPEN qui avait participé
à l'opération JTA, Claudette Delprat,
et qui proposait aux divers groupes disciplinaires
de la MAFPEN les orientations suivantes pour développer
des compétences pour la prise d'informations
sur support video:
"Chez
l'élève:
1. repérer les fonctions et enjeux du document
narratif, explicatif, informatif, injonctif à
intention didactique ou non.
2. identifier les sources et les types d'images: archives,
images de synthèse, dessin d'animation...
3. repérer les dispositifs d'émission
(plateau, extérieur, interview...)
4. reconnaître les codes spécifiques
et leur articulation avec les effets de sens.
5. connaître les outils d'analyse qui permettent
d'affiner la construction du sens ou de légitimer
l'interprétation
6. formuler un questionnement en fonction d'un projet
de travail.
7. savoir prendre des notes pour stocker une information
ou la retrouver.
Chez
l'enseignant:
1. connaître les différents paramètres
qui vont influencer la réception: conditions
de réception, savoirs préalables, variables
individuelles des élèves.
2. savoir déterminer la place et la fonction
de documents dans une séquence didactique:
illustrer un cours, susciter l'interrogation, apporter
des informations, évaluer.
3. favoriser chez l'élève l'engagement
dans la tâche et la mise en projet.
4. développer chez l'élève les
processus de questionnement.
5. connaître les compétences des élèves
(cf compétences 1, 2, 3, 4 précédemment
citées).
6. connaître les modèles d'analyse des
images.
7. connaître des pratiques pédagogiques
qui permettent de créer des situations d'apprentissage
chez les élèves."
-
Après JTA, l'opération "Video-collège"(1985)
a été une autre niche d'innovation,
visant la production d'images par les collégiens,
complétant ainsi la perspective de JTA, plus
centrée sur la lecture des médias. De
même, le dispositif "Media-Formation" dans les
Ecoles Normales d'Instituteurs a contribué
à poursuivre et développer dans le Primaire
les orientations de JTA.
Les Instructions Officielles de 1985 pour les écoles
et collèges reprendront certaines des perspectives
de JTA, puisqu'elles recommandent de former un futur
citoyen actif et critique face aux médias et
qu'elles demandent au professeur de français
d'enseigner "l'oral, l'écrit, l'image". D'ailleurs
c'est bien ce choix qui inspire la création
du CLEMI (Centre de Liaison de l'Enseignement et des
Moyens d'Information) en 1983, qui est aujourd'hui
encore centré sur cette éducation aux
médias, en retenant essentiellement la fonction
d'information de ces derniers. Notons que les autres
fonctions liées au divertissement, aux fictions
n'ont pas fait partie du champ du CLEMI.
Les années 90: une autre conception de l'innovation
dans un contexte de bouleversement technologique et
culturel, avec les TIC (Technologies de l'Information
et de la Communication)
Si on observe les effets des diverses innovations
des années 70 et 80, à travers des études
et enquêtes sur les pratiques des enseignants,
on peut constater que certes les images médiatiques
sont acceptées à l'école, mais
que les pratiques effectives sont extrêmement
variées selon les disciplines (cf. leur intégration
ou non dans les programmes), selon les contextes locaux
(équipements, impulsion du chef d'établissement,
politique académique). Je participe moi-même
à une recherche dans le cadre de la Direction
de l'évaluation et de la prospective du ministère
de l'Education français, où nous avons
pu faire observer pendant une semaine des professeurs
de français enseignant en sixième au
cours de l'année 1995: sur près de 150
séances observées dans 32 classes, nous
avons trouvé uniquement 3 séances consacrées
à l'étude de l'image...
Bref,
d'énormes efforts restent à faire: les
innovations des années 70 et 80 ont eu des
effets positifs au niveau des textes officiels, mais
pas forcément au niveau des pratiques effectives.
Du coup, une autre conception de l'innovation a été
proposée en particulier avec le dispositif
"Innovation-Réussite" depuis 1995: il faut
faire confiance au terrain, et aider les innovations
diverses à se faire connaître. Pour la
première fois, on donne des moyens non pas
pour faire des innovations, mais pour les communiquer
et réfléchir sur les conditions du transfert
à d'autres contextes, en insistant sur le fait
qu'est aussi intéressant le processus qui a
permis de mettre en place l'innovation que l'innovation
elle-même. Les thèmes des innovations
sont très variés et l'un d'entre eux
concerne précisément les TIC.
On a vu aussi apparaître depuis 1995 une autre
initiative: des correspondants académiques
TIC disciplinaires sont chargés d'impulser
et de suivre les innovations dans diverses disciplines,
ce qui permet de poursuivre ce mouvement de banalisation
et d'intégration des TIC dans les divers savoirs
scolaires.
Par ailleurs, ces efforts pour encourager les innovations
de terrain se déroulent dans un contexte de
bouleversement technologique qui favorise l'accès
aux informations et la communication à l'échelle
de la planète avec Internet. Les élèves
et les professeurs peuvent encore, grâce aux
structures des hypertextes, entrer plus librement
dans l'univers du multimédia. Par l'action
de l'ordinateur, l'image peut être appelée
avec plusieurs fonctions, elle peut être analysée,
manipulée, transformée: bref il y a
là, grâce à l'aide de l'ordinateur,
une aide formidable à l'apprentissage individuel
et à l'échange.
Pour
autant, est-ce que cette confiance faite au terrain
ainsi que ces innovations technologiques vont entraîner
la banalisation des pratiques de l'image dans les
classes et établissement? Je terminerai, en
guise d'éclairage pour répondre à
cette question, en citant quelques idées contenues
dans le rapport récent du sénateur Girard,
qui a le mérite d'attirer l'attention sur la
complexité des actions à mettre en œuvre
pour obtenir une intégration, une banalisation
des TIC à l'école, dans une perspective
qu'on peut qualifier de systémique:
- prendre en compte l'intégration des TIC dans
les savoirs disciplinaires, mais envisager aussi des
savoirs transversaux aux disciplines, en visant l'autonomie
des élèves, considérés
dans leur diversité.
- inscrire la situation d'enseignement-apprentissage
dans des espaces-temps pluriels. Pour l'espace, on
pense classe, CDI, domicile du professeur, salle des
professeurs, établissement. L'espace, c'est
aussi l'espace planétaire via les autoroutes
de l'information. Quant au temps, il ne doit pas être
soumis aux emplois du temps rigides, mais au contraire
relever de temps diversifiés, disciplinaires
et transversaux, avec recours à un emploi du
temps souple.
- avoir le droit à la liberté pédagogique,
mais en même temps, nécessité
de s'investir dans un travail d'équipe: la
liberté pédagogique et l'évolution
du système éducatif ne peuvent se faire
que par un investissement collectif.
- prendre en compte le niveau de l'établissement
où peuvent se régler un certain nombre
de problèmes dans une équipe plurielle,
avec parents, éducateurs, enseignants, administratifs...
- s'engager dans le partenariat: il revient certes
à l'Etat d'assumer par exemple l'expérimentation
et la production de produits pédagogiques,
mais le travail avec les collectivités territoriales,
France Télécom est essentiel. Ici encore,
il faut une véritable coordination de l'institution
centrale, du rectorat, des inspections pour que tout
soit fait au service des établissements.
- engagement des chefs d'établissement, aidés
par la formation, des personnes-ressource de proximité.
Pour
que les innovations se développent, c'est donc
tout un ensemble qui doit évoluer à
ces divers niveaux."

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