La IIIème biennale du design à Saint-Étienne: lecture et commentaires
Le reportage proposé rend compte de la IIIème biennale de Saint-Étienne. C’est un sujet culturel. Certaines de ses caractéristiques l’apparentent, dans sa facture, à un sujet d’information classique, d’autres traits formels le distinguent de ce format traditionnel.
1. Un traitement à la fois classique et original d’un événement
a.
Relevez dans le reportage les éléments qui permettent d’identifier ce sujet comme classique dans sa forme et ses partis pris de traitement de l’information (en termes d’organisation globale du reportage, d’approche dans le recueil de l’information, de choix d’une écriture audiovisuelle et d’une écriture des commentaires).
Commentaires
Organisation globale. Le sujet a une composition tripartite suivie d’une conclusion dite par le journaliste. Chacune des parties fait alterner des « sonores » (commentaires du journaliste sur des images d’illustration) et un entretien. Les « sonores » précèdent et introduisent les interviews.
Recueil de l’information (interviews). Par convention, le journaliste est hors-champ (on ne le voit pas à l’image) et ses questions n’apparaissent pas dans le montage final du sujet. Les personnes interviewées sont sélectionnées en fonction de leur statut : personnage de référence ou d’autorité (Céline Savoye, commissaire général de la biennale, Michel Thiollière, maire de Saint-Etienne et Dominique Pétot, créateur-designer). En revanche, les réactions du public de la biennale, partout présent à l’image, ne sont pas sollicitées. Les interviews sont en plan fixe serré. La durée de chacune d’elles est sensiblement équivalente (20 secondes). Les personnes sont interrogées en contexte (on voit, en arrière plan, la salle d’exposition).
(R) choix d’une écriture audiovisuelle. On tient compte de la nature de l’écoute du public (attention inégale) et de la diversité culturelle des téléspectateurs. Aussi privilégie-t-on la redondance entre le texte et l’image correspondante. Relevez dans le reportage plusieurs exemples de cette pratique.
(R) choix d’une écriture pour les « sonores ». Les journalistes de la presse audiovisuelle affectionnent, pour des raisons d’efficacité, une écriture dite « atomisée » : phrases courtes et/ou nominales (sans verbe). Exemple : « A chaque stand, ses objets. Pas facile pour le visiteur d’y trouver une ligne directrice ».
b.
Notez dans le reportage les éléments d’originalité relatifs (1) à la forme de l’introduction (entrée dans le sujet), (2) au rendu des choses montrées et (3) à la bande son.
(R) l’entrée dans le sujet. Le commentaire ne débute qu’au troisième plan pour permettre au téléspectateur d’imaginer le thème qui sera traité et de formuler des hypothèses à partir d’indices visuels. (On peut alors penser qu’il s’agit d’un sujet sur la mode : on voit des mannequins qui évoluent sur un podium sous le regard du public. En outre, le filmage de ce défilé pastiche le style de tournage de ce genre de manifestation : suivi des mannequins en mouvement, gros plans sur les vêtements portés, panoramiques verticaux de la tête aux pieds pour « décrire » les créations portées, plans brefs et montage rapide.) Cette entrée a évidemment pour fonction de créer le suspens et de soutenir l’attention jusqu’au commentaire qui prend le relais et oriente le sens du sujet vers un thème plus large que celui de la mode vestimentaire.
(R) le rendu des choses montrées (c’est-à-dire la manière de les donner à voir au téléspectateur avec l’œil de la caméra). On recherche des points de vue subjectifs en utilisant divers procédés : (1) le trucage en cadre fixe, (2) le cadre « cassé », (3) la variation de focale, (4) l’entrelacs (images dites en « fondu enchaîné »).
- le trucage en cadre fixe. Dans la seconde partie du reportage, on voit un empilement progressif d’objets au moment où le journaliste dit « Si un objet paraît moins exotique, cela a pourtant ses raisons ». Cette image d’empilement souligne la nature problématique de la filiation culturelle d’un objet à l’autre objet qui lui est associé (cf. le commentaire du journaliste : « Petite déception pourtant. L’exposition n’explore guère le contexte culturel des objets présentés ».)
- (Au plan technique, le trucage est simple à réaliser : on garde la caméra en cadre fixe et on filme les objets les uns après les autres. Au montage, on relie les plans en cut)
- le cadre « cassé ». Un plan prend pour référence une ligne horizontale. Le point de vue est alors objectif. Si l’on incline le cadre pour épouser une ligne diagonale, on dit qu’on « casse » le cadre. On signale un point de vue. Ce parti pris convient bien au sujet : il connote l’idée de fantaisie que la création évoque. Notez les plans dont le cadre est « « cassé » (ex. : le premier plan du reportage, la table en forme de haricot, le fauteuil, etc.). Commentez ces images.
- La variation de focale. L’œil humain peut voir à différentes distances (profondeur de champ) les objets avec netteté. Avec une caméra, il faut faire varier l’objectif (l’optique) pour voir les choses clairement, qu’elles se trouvent au premier plan ou en arrière-plan. Aussi fait-on le « point » en fonction de la distance choisie : premier plan net, arrière-plan flou ou inversement. Dans l’un ou l’autre cas, on privilégie le point de vue sur un ou des objets. C’est le cas dans le reportage quand on nous donne à voir le masque africain, d’abord net puis flou.
Le choix du masque est évidemment emblématique : l’exposition met l’accent sur l’« ethnicité ». Le rendu visuel de cet objet, grâce à la variation de focale, signale la multiplicité des postures que l’on peut adopter pour l’appréhender.
- l’entrelacs. L’art est dans la vie, la vie et le quotidien sont dans la création artistique et, comme le rappelle le reportage, « tout est design et le design est dans tout ». Pour illustrer cette idée force qui introduit le reportage et le conclut en images, on choisit de longs fondus pour mettre en relation l’exposition d’objets designet la ville de Saint-Etienne qui exhibe elle-même des objets frappés de la griffe de designers (trams, colonnes Morris).
Ce parti pris de points de vue qui ponctue le reportage est conforme à la nature du sujet : comment peut-on avoir sur l’art, la vie et la ville une autre appréciation que subjective ?
(R) la bande son. Elle inclut de la musique, ce qui est loin d’être fréquent dans les sujets d’information. Cette musique (qui accompagne notamment le défilé de mode) contribue, par sa tonalité contemporaine, à souligner la modernité de la démarche de création du designer.
Les observations sur la matière visuelle, qui précèdent, montrent l’effort de l’auteur pour mettre l’image au service du texte, et notamment pour illustrer les idées force du reportage.
2. La mise en scène des idées force
Relever les idées force dans le sujet, et notamment dans le commentaire dit par le journaliste. Souligner dans la transcription de la bande-son les expressions utilisées.
(R) Première partie : « tout est design et le design est dans tout » ; « pas facile pour le visiteur d’y trouver (dans la salle d’exposition, ndlr) une ligne directrice ». Deuxième partie : « Saint-Etienne présente des pays dont le design est jusqu’ici inconnu » ; « l’exposition n’explore guère le contexte culturel des objets présentés ». Troisième partie : « ce qui compte, c’est la variété et les contrastes ». Conclusion : « permettre à Saint-Etienne de devenir d’ici 2005 un centre permanent de design industriel ».
Première partie.
Illustration de :
« Tout est dans tout ». Cette idée trouve des expressions multiples : (1) dans le procédé de mise en abîme ; (2) dans l’énumération de choses au demeurant disparates, mises en relation par le montage ; (3) dans le découpage d’un objet en plusieurs de ses constituants dont la réunion donne un sens au tout ; (4) dans la connotation d’une chose par une autre qui la précède ; (5) dans le tissage de deux choses par l’effet d’un fondu.
(R) mise en abîme (définition : œuvre montrée à l’intérieur d’une autre. Ex. : Une fiction dans une fiction, comme dans « La règle du jeu » de Jean Renoir). Dans le reportage, on assiste au défilé de mode tel que le public pourrait le voir in situ. Immédiatement après, on peut voir ce même défilé (en contre-champ du plan précédent) sur un écran géant de la salle d’exposition. Ainsi, la mode est dans le design et le design dans la mode.
(R) énumération. Le sujet énumère en plans fixes, essentiellement, des choses qui apparemment n’ont aucun rapport entre elles (une nappe, une maquette de maison, une bicyclette, etc.). Le sens de ces objets se dévoile selon un réseau de signification –à nous de le découvrir-, un objet pouvant inspirer l’autre.
(R) découpage d’un objet. Le café local en carton, par exemple, est préalablement découpé en parties dont la nature, d’abord énigmatique, se révèle quand les « morceaux du puzzle » sont réunis en plan large.
(R) connotation. Exemple : l’image des grains de café sur un plateau (plan qui ouvre la seconde partie) précède l’image d’une femme africaine. Le café renvoie à l’Afrique et inversement.
(R) dans le tissage de deux choses par l’effet d’un fondu. Voir plus haut le paragraphe « entrelacs » à propos de la ville de Saint-Etienne.
« Pas facile pour le visiteur de trouver une ligne directrice (dans l’exposition) ». Cette notation introductive du journaliste est traduite par le foisonnement et la diversité des objets présentés en succession dans le sujet monté. Le choix de plans fixes et du même axe de prise de vue pour représenter ces objets accentue l’effet de foisonnement.
Deuxième partie.
Illustration de :
« Saint-Etienne présente des pays dont le design est jusqu’ici inconnu » Le parti pris de l’auteur est ici purement pédagogique : montrer, image à l’appui, la chose à découvrir comme dans la séquence sur l’Ethiopie.
N.B. La découverte de l’«inconnu » doit aller de pair avec une attitude de réceptivité. En d’autres termes, il faut accepter de regarder la chose inconnue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire différente des autres par nature. C’est précisément ce que le sujet nous suggère dans sa captation singulière des objets : cadre cassé, variation de focale, fondus, etc.
« L’exposition n’explore guère le contexte culturel des objets présentés. » Cette réserve du journaliste s’exprime métaphoriquement par la séquence de trucage décrite plus haut : l’empilement des objets nous apprend peu de choses sur l’arrière-plan culturel qui les a inspirés. Dans quelle relation ces objets sont-ils les uns par rapport aux autres ? (cf. l’histoire de l’œuf et de la poule.) Sont-ils dans une relation de mimétisme ? Quels sont leurs référents et leur filiation culturelle ?
Troisième partie.
Illustration de :
« Ce qui compte, c’est la variété et les contrastes.» Le sujet illustre abondamment ces deux substantifs, en particulier par le contraste des volumes et de la nature des objets représentés. Donnez des exemples.
(R) Dans la troisième partie, on oppose des objets (originaires du Mali) de petite taille à des automobiles.
Conclusion du reportage
Illustration de :
« Permettre à Saint-Etienne de devenir d’ici 2005 un centre permanent de design industriel. » Cet espoir est légitimé non seulement par l’ampleur de la manifestation et sa représentativité au plan international (Cf. le plan large où l’on voit en plongée le hall d’exposition avec les mentions d’exposants venus du monde entier) mais aussi par l’intégration du design dans l’espace public urbain (trams, colonnes Morris). Les dernières images du reportage fondent cet espoir par le jeu de l’enchaînement des images de la ville et des créations design. Tout se passe comme si l’exposition faisait déjà partie du paysage culturel de Saint-Etienne.
(On remarquera le très joli entrelacs de deux plans en mouvement, celui du tram qui se dirige vers la gauche et celui du panoramique sur les objets exposés qui va vers la droite, comme pour signifier le désir de Saint-Etienne de tourner résolument la page du passé et de parier sur la modernité.)
3. La maîtrise de la forme
Le sujet a l’ambition de présenter un ensemble d’objets design de toutes natures mais aussi d’apprécier la manifestation qui les réunit dans un lieu qui n’est pas neutre, au demeurant « décalé » par rapport à l’esprit de la biennale. (Saint-Etienne n’a pas pour les Français l’image d’une ville dynamique ; c’est une ville de tradition industrielle, « sinistrée » par la crise des années 80.)
Le reportage, cependant, n’a pas pour but d’apprécier le bien fondé du choix du lieu, même si le journaliste y fait allusion dans sa conclusion. La finalité du sujet est de rendre compte d’un événement difficile à appréhender, tant il est complexe et divers dans son expression.
Aussi, la maîtrise et la clarté de la forme sont-elles des conditions sine qua non si l’on veut faciliter la compréhension de la manifestation et guider le téléspectateur dans ce foisonnement créatif. L’écriture audiovisuelle du reportage, qui met l’accent sur le découpage, le rythme et la construction de l’espace, est conforme à ce propos. Expliquez.
(R) Découpage. La structure tripartite, classique (cf. §1, ci-dessus) est soulignée par les « respirations » (pauses dans les « sonores »). Ces respirations que l’on retrouve au début de chaque partie du sujet jouent le rôle de ponctuations. (Elles permettent aussi d’anticiper sur le texte et de laisser parler les images.) De même, le découpage est mis en évidence par la construction en séquences bien identifiables (ex. : la séquence du défilé, la séquence du café, la séquence des objets maliens, la séquence des voitures, la séquence de la ville).
(R) Rythme. Le rythme est donné par la succession des plans. Dans le reportage, dont la durée est de 3 minutes, il y a 42 plans pour les « sonores », 3 plans pour les entretiens. La durée moyenne d’un plan est de 2 secondes et demi, en moyenne, pour les « sonores », de 20 secondes en moyenne pour les entretiens. Le schéma rythmique s’établit sur le modèle suivant : (A) plans d’illustration des « sonores » en succession rapide pour soutenir l’attention, (B) réflexion-entretien en long plan fixe pour favoriser l’écoute. La répétition (A-B)-(A-B)-(A-B) établit le rythme et marque la cadence (cadence majeure). Rythme et cadence ont évidemment pour fonction de structurer (comme dans toute œuvre audiovisuelle) le reportage et, par conséquent, d’en faciliter la lecture.
(R) Espace. Dans le même souci de lisibilité, l’auteur apporte un soin particulier à la construction de l’espace. Les séquences, on l’a vu, renvoient à des espaces identifiés (défilé de mode, café local, etc.) mis en relation avec des espaces plus larges où ils sont inclus (ex. : mise en abîme du défilé de mode dans le hall d’exposition). L’espace de la biennale, enfin, est révélé en plan large en fin de reportage pour être finalement intégré à l’espace urbain dans la conclusion (fondus sur des images de Saint-Etienne et de l’exposition).
Conclusion.
Tout en respectant les contraintes du format du sujet d’information, le journaliste donne à son reportage une forme à la fois originale et très élaborée, pour nous inviter à porter un regard dénué de préjugés sur des créations singulières et nous suggérer un parcours fléché, capable de donner un sens à cette grande foire du design contemporain.

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